Des vêtements pour l'âmeBy DU Shisan Poète et artiste taiwanais.
Le grand couturier John Galliano a donné une définition séduisante de la mode : « il y a deux genres de vêtements, celui qui habille le corps, et celui qui sied à l'âme. » Or, nul doute que les créations de Sophie Hong sont de celles faites pour vêtir et le corps et l'âme.
Tout d'abord laissons de côté la coupe des vêtements, la grande singularité du talent de Sophie Hong, dans un monde de la mode qui aujourd'hui ne s'intéresse qu'à la ligne, aux couleurs et aux accessoires, se trouve dans la façon dont elle obtient et modèle son matériau. Elle puise son inspiration dans la méthode de fabrication de la « soie laquée », savoir-faire traditionnel chinois : une étoffe de soie blanche écrue est étalée sur l'herbe, la teinture extraite du gambier broyé est appliquée de façon égale sur toute la surface, puis elle est mise à sécher sous le grand soleil, cela se passe entre Avril et Septembre, ensuite elle est portée sur les berges où, avec la vieille terre ramassée au milieu du fleuve, on la « passe à la terre »... ce n'est qu'après ce processus complexe et méticuleux, que Sophie Hong considère qu'elle est en possession du matériau à partir duquel elle va créer le vêtement, elle s'attèle alors à l'étape suivante, plus minutieuse encore, de la « retouche ».
Chaque étoffe achevée qu'elle commence ainsi à travailler, offre toutes sortes de teintes et de motifs sans apprêt, comme au repos, rentrés, retirés en eux-mêmes après avoir été pétris, et chaque pouce du matériau, on le sent, est plein du touché naturel des fils de soie, d'eau de source et de rayons de soleil, d'herbe verte et de terre, du sentiment d'harmonie entre l'ombre et la lumière du monde, du passage de la chaleur à la froidure, comment alors ne pas éprouver la familiarité et le réconfort de « porter sur soi les souffles de l'univers, de revêtir les quatre saisons qui alternent » ? Imaginez un peu l'air, le style extraordinaire que donne à qui la porte, cette étoffe naturelle passée par « l'écume de la cicadelle, les feux d'herbes, le fer du soleil, la teinture de la rivière », puis passée par les mains de cette grande styliste qui la « retouche ».
En effet, ces étoffes une fois taillées aux dimensions des corps et ainsi passées dans le monde de la mode, femmes ou hommes, jeunes ou vieux, mais surtout les artistes à l'intériorité trempée, tous retrouveront les incroyables contours et lignes de leur âme, ils verront émerger en ce bas monde des reflets, des allures, des tournures exceptionnelles, comme si le soleil, les cours d'eau, les prairies sur eux trouvaient une autre terre où se déployer, briller ; telle est la rencontre, merveilleuse et étonnante, entre la mode et l'âme humaine.
L'histoire de l'art nous enseigne que les artistes modernes qui ont compté ne sont parvenus à maturité qu’après avoir découvert le matériau élémentaire à partir duquel créer : pour l'écrivain, c'est sa propre langue et ses propres mots ; pour le musicien, des notes qui racontent une histoire ; pour le plasticien, les éléments en propre qu'il modèle... Il en est de même pour le styliste qui doit lui aussi concevoir et mettre en pratique son esthétique. Et seulement alors que vient la réussite, comme ce fut le cas pour Issey Miyake, Gianni Versace, Calvin Klein et, à n'en pas douter, Sophie Hong. Nous aimons cet élément premier de création chez elle parce qu'il est l'assemblage tournoyant de ces « gènes de la nature » que sont l'herbe, l'eau et le soleil.
Si depuis vingt ans elle lutte dans le champ de la mode, Sophie Hong, esprit vaste et profond, amoureuse de la nature et des hommes et mue par une intarissable soif de création, est aussi peintre et artiste plasticienne touchant à divers matériaux. Sa réussite ne s'arrête pas à une renommée mondiale, nous attendons qu'elle nous comble de ses créations, toujours plus neuves, toujours plus exquises...
1990年代,這位創作能量旺盛的當代藝術家,獲得台灣經濟部與法國外交部獎學金,赴法國巴黎高級時裝工會學校 (L'Ecole de la Chambre Syndicale de la CoutureParisienne) 研習立體剪裁,同時在貝桑松(Besançon)學習法語、在迪奧 (Christine Dior)、香奈兒(Chanel) 研習服裝製作、在摩爾多(Greta Morteau)研習鐘錶設計。勇於突破,不受限傳統設計框架,洪麗芬融合西方與東方、跨國界文化語彙的服裝創作,於1997年得到法國巴黎服裝博物館(Musée Galliera-Musée de la Mode et du Costume)永久典藏。洪麗芬曾返回實踐大學服裝研究所任教,貢獻並回饋她所學於母校。
台法藝術文化交流
2010年「Sophie Hong」在巴黎中心區三百餘年古蹟建築皇宮藝廊開幕,與法蘭西喜劇院、文化部、巴黎歌劇院,同屬 Palais Royal 的一部分;人文薈萃,歷史文化底蘊深厚,提供歐洲時尚界接觸其服裝的最佳櫥窗;同年她接任摯友施蘭芳「信鴿法國書店」(Librairie Le Pigeonnier),該書店為法國法語系書店協會會員;法國國家法語區電台TV5,曾播出洪麗芬專訪,並專題報導該書店;洪麗芬致力法國語文藝術之聯繫與傳播,推動台法文化交流,不遺餘力,2012年得到法國國家功勳騎士勳章(Chevalier de l’ordrenational du Mérite);同年在巴黎皇宮柯萊特廣場(Place Colette)舉辦個人服裝展覽 – "Sophie HONG à Paris",由法國導演 Juliette Deschamps 執導,將洪麗芬所設計服裝,以生活化方式,生動活潑展現在巴黎日常生活氛圍中,引起轟動;2014年洪麗芬獲台灣金點設計獎年度最佳織品類設計獎!再次證明她的跨領域創作才華,備受藝文界重視!
跨界多元合作
當洪麗芬談到她豐富的創作歷程時,優雅大方,自然率真,從容自在,彷彿一切渾然天成!事實上,她的藝術創作領域,廣及繪畫、金工、竹器、雕塑、陶器等;秉持開放心胸,和國內外許多跨界藝術家合作,如法國前文化部長 Jack Lang、女演員Isabelle Huppert、Catherine Frot、導演 Juliette Deschamps、藝術家 Fabien Lerat、Alain Della Negra、畢安生 Jacques Picoux、主廚 Danièle Mazet-Delpeuch、大提琴家 Alain Meunier、小提琴家 Guillaume Plays、鋼琴家 Lee Fang-Yi、聲樂家 Anne Rodier、偶戲專家 Robin Ruizendaal、漢學家 René Vienet、建築師 Adèle Naude Santos、Nelson Wilmotte、漫畫家 Golo、法語教師暨台北信鴿法國書店創辦人施蘭芳 Françoise Zelberberg 等;華人世界文學作家如白先勇、林清玄、杜十三、羅青、羅門;電影演員鞏俐、章子怡;音樂家李泰祥;攝影藝術家柯錫杰、李小鏡、謝春德、龍子軒、許培鴻;戲劇導演劉若瑀、吳興國;舞蹈家林秀偉、羅曼菲、張曉雄,吳建緯;美食家陳鴻;合作團體如蘭陵劇坊、台北越界舞團、野草舞蹈聚落、心心南管樂坊、優人神鼓、台原亞洲偶戲博物館等;國家交響樂團(NSO)歌劇《畫魂》(2010)、台灣元盛AI生醫科技產品 iCi en orbite(2019)、板橋林家花園 – 新北城市美學"穿梭浪漫"總監(2019)、國家交響樂團與國立故宮博物院影像合作計畫 – 故宮 X NSO表演(2020)等;國立故宮博物院形象制服,亦由洪麗芬設計。
J'ai rencontré la créatrice taiwanaise Sophie HONG il y a plus de trente ans.By Christine BLANC Communication
Après avoir participé à de nombreux salons professionnels et expositions, le 17 mai 2010, elle s'est « installée » dans les jardins du Palais-Royal de Paris pour « s'extraire du luxe industriel et du commerce de masse » .
Elle est alors à la recherche d'une forme de confidentialité pour se rendre plus désirable, elle souhaite trouver un lieu où elle peut concevoir un « magasin d'art ».
Sophie HONG, « artisan-artiste » crée elle-même les teintures sur soie ou lin, réalisées à partir de décoction de racines végétales et fixées par de la glaise, pour des créations intemporelles destinées autant aux hommes qu'aux femmes, à la frontière entre la mode et l'art.
Sophie travaille ses étoffes comme un peintre sa toile. Sa disponibilité, sa curiosité et sa générosité ont transformé notre rapport professionnel en profonde amitié.
藝術史告訴我們,一個好的現代藝術家都是在發現了他們可貴創作元素之後才逐漸的成熟起來;好的文學家找到他自己的語言詞彙元素,好的音樂家找到自己的聲音敘述元素,好的視覺藝術家找到他自己的造型元素……。而好的時裝藝術家也是一樣的,他必須找到與眾不同的,屬於他獨創的人體包裝元素,再以這個元素演繹自己的時裝作品,進而不斷地實踐自己的時裝美學才有所成,三宅一生如此,凡賽斯如此,Calvin Klein 如此,洪麗芬也必然如此,可喜的是,洪麗芬找到的創作元素竟然如此的與眾不同,因為她的元素是草、是河流、是陽光的螺旋組合,是「大自然的基因」 。
在時裝藝術領域已經奮鬥了二十多年的洪麗芬,同時嫻熟繪畫、金工與其他多種造形藝術,以她涉獵的廣度、深度以及對自然、人文關心的胸懷和持續不斷的創作毅力,其成就當不僅只是目前在巴黎、紐約的蜚聲國際而已,在此,我們願以期待大師的心情,希望洪麗芬勇於向自己挑戰,在不久的將來呈現給我們更為新奇、更為精湛的 HONG 時裝藝術,讓天下所有的靈魂更為美麗。
Un nuage évoque une robe, une fleur un visageBy Lin Ching-Hsuan Écrivain taiwanais
Quasiment tous les artistes orientaux se trouvent un jour à devoir considérer la pensée orientale et la pensée occidentale, comment lier les deux ensembles, combiner sans accroc les deux formes, tel est le chemin qu'il leur faut suivre aussi. Et c'est précisément de cette rencontre orient-occident dont sont surgies les créations de mode de Sophie Hong, elle qui a suivi en France les cours de couture de l'avant-garde, tout en gardant au fond d'elle l'esprit et les aspirations de l'art chinois.
Avec pour éléments de base la soie d'Orient la plus pure et ses couleurs paisibles : bleu-vert, jaune, rouge, blanc et noir, qu'elle fait apparaître dans l'esprit de la sculpture occidentale, voici la parfaite union de l'orient et de l'occident.
De même, le choix entre le classique et le moderne se pose inévitablement pour les artistes contemporains : s'ils ne privilégient que le moderne, leur art perd la perception du temps et la dimension culturelle ; et s'ils ne privilégient que le classique, la créativité et la force imaginative se perd. Sophie Hong a recherché, dans le Sud de la Chine, la « soie laquée », une soie pure utilisée depuis la dynastie des Ming jusqu'à aujourd'hui, et qui était sur le point d'être perdue à jamais. Elle a mené, auprès des maîtres spécialistes de la soie, de longues recherches dans les fabriques, débutant par le tissage, puis l'impression et la teinture, la pose des couleurs, redonnant vie à ce matériau.
Sa formation en art moderne lui a permis de ne pas coller à la tradition, de ne pas être enfermée dans les limites du classique, mais d'évoluer librement, sans chaîne. Je ne peux contenir mon admiration devant la vision que m'offrent le tressage de ces fils de soie pareils à du cuir, à ce tissu travaillé à la manière d'une sculpture de bronze, où il n'y a pas seulement un aller-retour entre le classique et le moderne, mais aussi un voyage entre le doux et le dur.
Bon nombre d'artistes d'avant-garde connaissent la confusion entre l'utile et l'idéal, en particulier dans la haute-couture, car si elle penche trop du côté de l'idéal, elle touche peu de gens, mais si elle est trop utilitaire, elle tombe dans le trivial. « Utile », un vêtement doit l'être ; sur cette base, comment atteindre la frontière d'un art pur, qui sera celle du designer, zone limite où il apparaît en tant qu'artiste et en tant que couturier ?
Depuis plus de vingt ans que je connais Sophie Hong, elle a toujours été une designer exceptionnelle, outre la mode, elle a aussi élargi ses centres d'intérêt à la peinture, la sculpture, l'architecture, l'art du jardin, développant une conception qui lui est propre. Jadis couturière à succès sur le marché de la Mode, alors que ses affaires étaient au beau fixe, elle reçoit une bourse pour une « expertise sur les échanges techniques entre la France et la Chine ». Elle suspend alors toutes ses activités pour partir en France reprendre ses recherches, elle travaille chez Chanel et chez Dior, ce qui lui permet d'ouvrir considérablement son horizon, de créer plus librement encore, en mettant en rapport tout ce qu'elle a appris sur l'art durant des années, passant ainsi la frontière de l'idéal. Ses créations de mode sont conservées au musée Galliera de la ville de Paris.
A présent, Sophie Hong est invitée à exposer dans les capitales de la mode : New-York, Milan, Paris, elle a demandé à ses amis ainsi qu'au citadin lambda de porter ses vêtements, et l'on peut voir que, certes, ils leur vont, mais aussi qu'ils leur confèrent une allure nouvelle.
Mais en plus de cela, selon moi, ses vêtements, étoles et accessoires pourraient même être encadrés et accrochés au mur pour être admirés comme des œuvres d'art.
Dans son fourneau, Sophie Hong a allié Orient et Occident, classique et moderne, idéal et pratique pour forger sa propre esthétique, puissante et originale ; nous éprouvons un sentiment de raffinement et de mouvement dans le recours intense qu'elle fait des courbes, un sentiment de minutie et de joie dans le travail d'aiguille du nœud chinois rouge qu'elle a conservé et, devant la moire de ses étoffes, nous sommes comme devant la clarté des dunes, l'immensité d'une plaine de lœss.
Le fil de soie de première qualité qu'elle emploie dans la plupart de ses tissus nous fait ressentir la mollesse du nuage, la beauté exubérante des fleurs, en voyant les vêtements de Hong Lifen, comme l'a écrit un poète antique, même les nuages voudraient se vêtir, et les fleurs se faire plus belles !
Si l'on sait que cette moire des étoffes est le résultat d'une terre et d'une teinture naturelle séchées au soleil pendant une semaine, que les nœuds rouges tressés à la main s'inspirent d'une recherche de plusieurs années sur le vêtement chinois, que les courbes ont été créées suite à d'incessantes tentatives de retouche... les créations de Sophie Hong non seulement forcent l'admiration, mais elles nous émeuvent profondément.
Là où se pose la main, s'ouvre l'horizon ; là où le regard se porte, là est l'esprit.By CHEN Yu-hui Cinéaste et écrivaine taiwanaise
Voilà longtemps que j'ai fait la connaissance de Sophie, mais la différence n'est pas très grande entre celle qu'elle était et celle qu'elle est aujourd'hui, elle continue à porter les vêtements qu'elle dessine elle-même, perchée sur ses socques de rônin, elle va, avec une grâce qui fait voguer la mode.
Durant toutes ces années, Sophie a toujours tenu à ses principes, pour le vêtement comme pour l'art : simple, organique et vivant.
Elle n'a jamais été quelqu'un de beaucoup de paroles. Ses principes, elle les met en œuvre. De la qualité des matériaux à la teinture indigo, en tout on voit son attention au détail, elle a cherché de partout la soie laquée, elle est la première grande styliste qui a su comment procéder à une teinture organique.
Non contente d'avoir créé sa propre enseigne à Taiwan, travail de longue haleine, elle a dans la foulée ouvert une boutique à Paris, capitale de la Mode. Les résultats sont là, avec des liens parmi des personnalités françaises notoires : Isabelle Huppert porte ses vêtements lors des festivals, Jack Lang, ancien ministre de la culture, en a fait l'éloge, elle a reçu la décoration de Chevalier de l'ordre des arts et des lettres ; elle en est digne.
Dans le monde de la mode et de l'art taiwanais, elle s'exprime peu, vraiment peu. Parce que c'est avec ses mains qu'elle pense, tout ce qu'elle conçoit, elle l'exprime avec ses mains, c'est une femme qui pense avec ses mains, et le temps parle pour elle, ses créations témoignent de cette splendide vie.
ImprévisibleBy Monique Lévi-Strauss Chercheuse en histoire des textiles
Pourquoi les vêtements de Sophie Hong me plaisent tant ? Parce qu'ils me vont si bien. Ils tombent avec grâce. Sophie travaille de beaux tissus de soie, teints avec des colorants naturels. Avant de les tailler, elle les expose à l'air et au soleil, afin qu'ils renvoient la lumière et s'animent de reflets harmonieux. D'une grande douceur, ses doublures en satin caressent la peau et lui tiennent chaud. L'oeil est toujours attiré par les ganses qui finissent les bordures des devants, des cols et des manches : à la fois diverses et discrètes, ces notes de couleur rendent le vêtement vivant, imprévisible. En résumé, les vêtements de Sophie sont à la fois légers, frais ou chauds, selon la saison, sobres et vivants, vraiment élégants.
Autour de Sophie HongBy Pierre-Yves BAUBRY Fondateur de Lettre de Taïwan
Bien sûr, il y a la technique. Pour travailler la soie, Sophie Hong a fait siennes d'ancestrales méthodes de tissage et de teinture du sud de la Chine, permettant ainsi leur renaissance.
Teints de façon naturelle, les rouleaux de soie sont étendus sur la terre et séchés au soleil. Comme l'écrit Douglas Bullis, « la teinture de la soie chinoise est très proche des voies de la nature. Si, après avoir rincé la teinture, vous essayez de sécher la soie, le soleil ne doit pas être trop brillant, toutefois il doit l'être suffisamment. »*
La soie y prend un aspect laqué, dans des tons terreux : noirs ou bruns très profonds sur une face, rouges sombres sur l'autre. Le procédé donne au tissu une texture inimitable, sans rien ôter à sa légèreté. « Il y a de bonnes et de mauvaises saisons pour teindre la soie, tout comme il y a de bonnes et de mauvaises années pour le vin »*, remarque Douglas Bullis.
Dans cette danse avec les éléments, Sophie Hong recherche avant tout la nuance. Chaque pièce de soie tire son caractère unique des trames du tissage, de l'intensité de la teinture ou du hasard des contacts avec la terre. D'imperceptibles variations font penser à des peintures à l'encre.
Au fil des ans, Sophie Hong a ajouté à sa palette de nouvelles tonalités de rouges, d'indigos, de bleus et de verts — toutes les couleurs de l'arc-en ciel —, même si elle chérit les teintes brunes et noires, plus écologiques.
Les vêtements créés par la styliste, pour les hommes autant que pour les femmes, frappent par leur simplicité autant que par leur qualité visuelle résolument contemporaine. Chemisiers, vestes, blouses, bustiers, robes et pantalons témoignent d'une recherche de la juste mesure : il s'agit d'en faire ni trop, ni trop peu. Sophie Hong joue avec la versatilité de la soie laquée qui a ici l'aspect du velours, là d'un cuir patiné, là encore d'un tissu subtilement rêche.
Sans jamais renoncer à la fonctionnalité, elle joue avec les coupes, les épaisseurs, les bordures et ourlets, les broderies, les boutons et les plis quidonnent pour de bon au tissu son volume. Sophie Hong joue et invite ses clients à en faire autant, sur un mode combinatoire puisque chaque pièce peut être portée aussi bien à l'endroit qu'à l'envers.
Pour Sophie Hong, un vêtement est une œuvre d'art à laquelle chacun répond avec ses émotions. Chapeaux, foulards, cravates, écharpes, mais aussi bijoux, sculptures en métal ou en tissu : tout est matière à création. Sans relâche, elle expérimente et innove dans sa recherche de teintes naturelles et son traitement de la soie, dessinant des voies possibles pour des créations futures.
Dans son atelier de Taipei, Sophie Hong s'entoure aussi bien d'outils d'artisans — un carreau à dentelle, une forme à chapeau — que d'objets et œuvres d'art offerts par des amis.
Ce parti pris amical et esthétique se traduit par les nombreuses collaborations menées avec des artistes taïwanais comme ceux du Contemporary Legend Theatre, du Tussock Dance Theater et du U-Theatre, et par les liens de fidélité entretenus avec l'actrice Isabelle Huppert, la cuisinière Danièle Mazet-Delpeuch, la chanteuse lyrique Anne Rodier, le marionnettiste Robin Ruizendaal, le cinéaste René Viénet, l'artiste Jacques Picoux, l'architecte Adèle Naudé Santos, l'écrivain Lin Ching-hsuan, les musiciens Alain Meunier, Lee Fang-yi, Guillaume Plays, et Franck Bernède, ou encore l'illustrateur Golo.
Il se manifeste aussi par la poursuite de la librairie française Le Pigeonnier, fondée à Taipei par Françoise Zylberberg, laquelle aura plus que nulle autre porté au fil des ans toute la palette des créations de sa compagne.
Il s'incarne enfin dans l'espace parisien du Palais-Royal qui témoigne du lien indéfectible unissant Sophie Hong à la France autant qu'il offre à qui s'y aventure une porte d'entrée vers la culture taïwanaise.
Décorée par la France dans l'Ordre national du Mérite, Sophie Hong a vu ses créations exposées au Palais Galliera, - musée de la Mode de la ville de Paris, au musée La Piscine de Roubaix, au musée et théâtre Taiyuan de la marionnette asiatique, à Taipei, et au musée des arts de la fibre, à Taichung.
*"Chinese silk-dyeing is very close to the ways of nature. If you try to dry silk after rinsing out the dye, the sun must not be too bright, yet it must be bright enough." Douglas BULLIS (2000) fashion Asia. Thames & Hudson. p.142. *"There are good seasons and bad seasons for silk-dyeing, just as there are good years and bad years for wine." Douglas BULLIS (2000) fashion Asia. Thames & Hudson. p.145.
Sophie Hong Couleurs en mouvements, de la nature à l'artBy Dominique Cardon Directrice de Recherche émérite CNRS,CIHAM/UMR 5648, Lyon
Sophie Hong, en vraie ou en marionnettes, ses textiles, plissés, tordus, incisés, ses vêtements taillés, assemblés, nervurés : comment y penser autrement qu'en mouvement ? Sophie, voile poussée par les vents de l'inspiration et de la détermination. Elle entraîne dans son sillage ce matériau fluide qu'elle n'a jamais fini de redécouvrir et de recréer : la soie laquée, 黑絞绸 hei-jiāo-chou, ou 香雲紗 xiang-yun-shā, littéralement « vêtement de nuage parfumé (ou « bruissant ») », patrimoine intangible du Guangdong chinois.
Matériau qui a fait naître notre amitié, car la plante qui lui donne ses couleurs et, en partie, sa substance est l'un de mes enfants végétaux adoptés : le faux gambier ou 薯莨 shu liang, Dioscorea cirrhosa, une des centaines d'espèces d'ignames, les plantes de Dioscoride. Liane élancée des jungles du sud-est asiatique, aux tiges crochues, aux feuilles ovales-pointues, fines, lisses comme les soies de Sophie et nervurées comme les finitions de ses vêtements. Elle jaillit de gros tubercules massifs, couleur de terre. Arrachés, coupés en deux : la tranche apparaît rouge orangé, juteuse. Râpés ou écrasés, les tubercules saignent un sirop fauve dont vont être imprégnées des pièces de soie ensuite tendues sur prés. Le soleil cuit le jus dans la soie. Celle-ci va encore être aspergée de jus étalé ensuite à la brosse, puis séchée, caramélisée au soleil brûlant de l'été de la Chine méridionale, de nombreuses fois, jusqu'à prendre elle-même la couleur de la chair du tubercule : rouge-fauve, en grec kirros. Avec sa couleur, elle s'imprègne aussi de ses propriétés et de son énergie : ce jus sanguinolent est hyperconcentré en tanins colorés, des molécules géantes, hérissées de sites réactifs propres à s'unir indissolublement à ceux des fibres textiles pour former une surface homogène, résistante à l'eau comme au feu, aux rayons UV comme aux bactéries.
Cette teinture protectrice, teinture-armure, aux multiples formes que lui invente Sophie Hong, a servi autrefois à imprégner aussi des fibres moins précieuses que la soie, tels le coton et le chanvre. Elle donnait ses nuances de roux à brun aux habits de tous les jours d'une partie du peuple vietnamien, qui appelle la plante củ nâu. Avant la Deuxième Guerre mondiale, « en dehors des populations montagnardes, vêtues de cotonnades bleues, toute la population tonkinoise use du củ nâu pour teindre ses vêtements ». On l'utilise aussi, à l'époque, pour imprégner les voiles et les filets des embarcations de pêche, qu'elle renforce et rend plus durables. La liane est alors récoltée dans ses stations naturelles, mais aussi cultivée en agroforesterie par les paysans Man, Tho, Mhong et les Dao rouges qui la font grimper aux arbres bordant leurs jardins et leurs champs de riz. Une partie de leurs tubercules part vers la Chine, en plein essor de l'engouement pour la soie laquée. Ce trafic inspire à Charles Crevost cette description pittoresque dans son monumental Catalogue des produits de l'Indochine : « Des Chinois sont établis sur les rives des hauts cours d'eau tonkinois, en face de petites plages où les radeaux et les petites embarcations chargés de tubercules peuvent stationner. Là, un acheteur chinois est posté, avec sa grosse romaine en évidence, portant un gros caillou de contrepoids. Les vendeurs s'y arrêtent et débattent les prix ; la marchandise est ensuite évacuée sur Haïphong par voie fluviale. Entre 1913 et 1922, les exportations portent en moyenne sur 5937 tonnes de tubercules par an, avec un maximum de 8011 tonnes en 1914, par suite des ruptures d'approvisionnement en teintures chimiques ».
Aujourd'hui encore, l'emploi le plus important et le plus remarquable des tubercules du faux gambier, outre leurs traditionnels usages médicinaux, est pour la production de la soie laquée, inventée dans la région de Canton à cause de sa boue, et dont l'art ne se perpétue plus que dans de rares ateliers du district de Shunde. Pourquoi la boue ? Parce qu'après que les pièces de soie aient été parfaitement imbibées du suc du faux gambier, il faut encore, pour « laquer » la soie et donner à l'une de ses faces un glaçage noir, y appliquer la boue de certains bras de rivières du delta des Perles, d'une certaine façon, dans la bonne période de l'année et au bon moment, à l'aube entre nuit et jour. La base chimique du procédé est théoriquement connue. La boue doit être riche en fer, pour que ses ions ferreux réagissent avec les tanins imprégnés dans la soie pour former une laque noire uniquement sur la face supérieure du tissu qui reçoit la boue liquide. Mais tout le secret du procédé est dans le non-dit, le non exprimable, un savoir-faire mental et physique ancré dans l'expérience et la répétition, savoir complexe, unique, dont la transmission n'est plus aujourd'hui si assurée qu'on le souhaiterait. Il est, entre autres, dans la gestuelle proche de la danse par laquelle les teinturiers répandent la boue sur le tissu en couche lisse et unie. Dans le mouvement, puis dans l'immobilité se crée la couleur : les pièces enduites de boue, tendues bien à plat sur l'herbe, sèchent lentement, avec la rosée, avant le lever du soleil. Magie ? Apprêt final ultra-secret, jamais divulgué ? Comment le tissu fini peut-il ainsi luire de cette lumière noire si particulière ? Il reste dans ces procédés et dans ce matériau, « vêtement de nuage », une part de mystère.
Cela ne pouvait manquer de plaire à Sophie. En mouvement ! Aventurière de la couleur, elle est partie à Shunde tenter de faire la lumière. Rester au côté des teinturiers, déchiffrer le rôle des ingrédients, le sens des gestes. Artiste, elle a reconnu l'effort pour maîtriser la matière, dans la lutte constante des maîtres-teinturiers pour unir la plante, la soie et la boue, le végétal, l'animal et le minéral, en un tissu à deux visages.
Matière exceptionnelle qu'elle n'a cessé de sculpter en œuvres mouvantes, ondulantes, bruissantes, jouant des couleurs, des transparences, des crevés et lacérations, des bordures et des ganses, enrichissant ainsi de son savoir de créatrice textile un tissu né d'une innovation greffée sur une très ancienne tradition.