Sophie Hong et Le vêtement qui parleLouis Ucciani Maître de conférence université Bourgogne Franche Comté
Par son travail dans le domaine de la mode, c'est à dire dans le monde de la représentation, de l'esthétique pour le philosophe, Sophie Hong est un marqueur du passage du temps : un cycle de création, puis diffusion et saturation, puis anéantissement et renaissance. Il serait bien que la frénésie du nouveau soit évitée, que le modèle aristotélicien privilégiant la forme à la matière soit aussi évité.
Pour nous, en Occident qui s'impose en maître, l'Orient se pose en système de pensée comme 'l'autre', mais Sophie Hong en donnant priorité à la matière qui donne sens à la forme, défie le temps et montre la pérennité des visages et de costumes : l'écoulement du temps n'est pas évacué comme prévu, les modèles de costumes de Sophie Hong sont de nature intemporelle, et utilisent des tissus d'une qualité, tenue et histoire irréprochables (elle fait notamment usage de produits et teintures à base de pigments'kuru' remontant à la dynastie Song : elle les a elle-même affinés sur plusieurs décennies. Elle crée des vestes réversibles noires ou brunes / rouges tout à fait uniques).
Dans un ouvrage sur l'art vestimentaire, Paola Zamperini note la pratique de Sophie Hong d'inscrire la mode taïwanaise dans une longue tradition historique, refusant l'éphémère du monde moderne : le vêtement en Extrême-Orient est en effet central, symbole de l'homme différencié de l'animal, Confucius y voit l'expression codée de l'appartenance sociale, de nos différences. Extraordinaire constatation : l'écriture elle-même, idéographique, représentant le mot 'origine' (origine de tout !), est formée des caractères 'tissu' et 'ciseaux' ! Un rapport à la tradition s'établit, la temporalité du monde occidental apparaît bien insuffisante, nous abordons véritablement le domaine anthropologique. A la recherche du sens, le travail du tissu, la création, sont vraiment dignes d'intérêt, et tendent à l'universel. De nos jours, dans le contexte de modernisation, on note que le vêtement a perdu sa signification complexe originelle, le Li (représentant le droit) peut s'appliquer à d'autres contextes que celui du vêtement. L'héritage de Confucius reste cependant durable, car la règle peut se matérialiser avec d'autres objets.
Sophie Hong par la qualité de son travail hisse le vêtement à un niveau peu commun : il vient occuper une place de choix comme signifié. La mise en valeur du corps et des formes n'est pas sa préoccupation, pas d'éphémère, même si l'Occident met corps et sensualité fréquemment en évidence. Sophie Hong ancre son travail dans un artisanat localisé, riche de traditions, dessins et tissus précieux, et lieu, temps, espace, tout exemplaire formel et représentation ne sont plus à considérer face à ce qui se présente immuable.
Le vêtement est du domaine de l'art : il met en valeur l'individu aussi bien que la pierre qui le 'sculpterait'. Le tissu porté, la matière ainsi travaillée, tout est devenu 'unique', loin de tout procédé industriel. 'Représentation' qui était synonyme d'éphémère est devenu ici exemple unique de ce qu'est l'homme, ses origines : il est différent de l'animal, il peut tendre vers l'universel, il est issu de matière, habillé de matière. C'est un véritable langage, un langage qui sait s'adapter, que nous tiennent les créations de Sophie Hong : depuis nos origines, tout un chemin parcouru, notre histoire, les vêtements de Sophie Hong 'parlent'.
Sa démarche est en fait simple, elle l'a elle-même expliquée : « J'aime utiliser dessins et matériaux qui me viennent du passé, les formes traditionnelles qui peuvent être adaptées pour coller aux goûts et besoins d'aujourd'hui. »