Un nuage évoque une robe, une fleur un visageLin Ching-Hsuan Écrivain taiwanais
Quasiment tous les artistes orientaux se trouvent un jour à devoir considérer la pensée orientale et la pensée occidentale, comment lier les deux ensembles, combiner sans accroc les deux formes, tel est le chemin qu'il leur faut suivre aussi. Et c'est précisément de cette rencontre orient-occident dont sont surgies les créations de mode de Sophie Hong, elle qui a suivi en France les cours de couture de l'avant-garde, tout en gardant au fond d'elle l'esprit et les aspirations de l'art chinois.
Avec pour éléments de base la soie d'Orient la plus pure et ses couleurs paisibles : bleu-vert, jaune, rouge, blanc et noir, qu'elle fait apparaître dans l'esprit de la sculpture occidentale, voici la parfaite union de l'orient et de l'occident.
De même, le choix entre le classique et le moderne se pose inévitablement pour les artistes contemporains : s'ils ne privilégient que le moderne, leur art perd la perception du temps et la dimension culturelle ; et s'ils ne privilégient que le classique, la créativité et la force imaginative se perd. Sophie Hong a recherché, dans le Sud de la Chine, la « soie laquée », une soie pure utilisée depuis la dynastie des Ming jusqu'à aujourd'hui, et qui était sur le point d'être perdue à jamais. Elle a mené, auprès des maîtres spécialistes de la soie, de longues recherches dans les fabriques, débutant par le tissage, puis l'impression et la teinture, la pose des couleurs, redonnant vie à ce matériau.
Sa formation en art moderne lui a permis de ne pas coller à la tradition, de ne pas être enfermée dans les limites du classique, mais d'évoluer librement, sans chaîne. Je ne peux contenir mon admiration devant la vision que m'offrent le tressage de ces fils de soie pareils à du cuir, à ce tissu travaillé à la manière d'une sculpture de bronze, où il n'y a pas seulement un aller-retour entre le classique et le moderne, mais aussi un voyage entre le doux et le dur.
Bon nombre d'artistes d'avant-garde connaissent la confusion entre l'utile et l'idéal, en particulier dans la haute-couture, car si elle penche trop du côté de l'idéal, elle touche peu de gens, mais si elle est trop utilitaire, elle tombe dans le trivial. « Utile », un vêtement doit l'être ; sur cette base, comment atteindre la frontière d'un art pur, qui sera celle du designer, zone limite où il apparaît en tant qu'artiste et en tant que couturier ?
Depuis plus de vingt ans que je connais Sophie Hong, elle a toujours été une designer exceptionnelle, outre la mode, elle a aussi élargi ses centres d'intérêt à la peinture, la sculpture, l'architecture, l'art du jardin, développant une conception qui lui est propre. Jadis couturière à succès sur le marché de la Mode, alors que ses affaires étaient au beau fixe, elle reçoit une bourse pour une « expertise sur les échanges techniques entre la France et la Chine ». Elle suspend alors toutes ses activités pour partir en France reprendre ses recherches, elle travaille chez Chanel et chez Dior, ce qui lui permet d'ouvrir considérablement son horizon, de créer plus librement encore, en mettant en rapport tout ce qu'elle a appris sur l'art durant des années, passant ainsi la frontière de l'idéal. Ses créations de mode sont conservées au musée Galliera de la ville de Paris.
A présent, Sophie Hong est invitée à exposer dans les capitales de la mode : New-York, Milan, Paris, elle a demandé à ses amis ainsi qu'au citadin lambda de porter ses vêtements, et l'on peut voir que, certes, ils leur vont, mais aussi qu'ils leur confèrent une allure nouvelle.
Mais en plus de cela, selon moi, ses vêtements, étoles et accessoires pourraient même être encadrés et accrochés au mur pour être admirés comme des œuvres d'art.
Dans son fourneau, Sophie Hong a allié Orient et Occident, classique et moderne, idéal et pratique pour forger sa propre esthétique, puissante et originale ; nous éprouvons un sentiment de raffinement et de mouvement dans le recours intense qu'elle fait des courbes, un sentiment de minutie et de joie dans le travail d'aiguille du nœud chinois rouge qu'elle a conservé et, devant la moire de ses étoffes, nous sommes comme devant la clarté des dunes, l'immensité d'une plaine de lœss.
Le fil de soie de première qualité qu'elle emploie dans la plupart de ses tissus nous fait ressentir la mollesse du nuage, la beauté exubérante des fleurs, en voyant les vêtements de Hong Lifen, comme l'a écrit un poète antique, même les nuages voudraient se vêtir, et les fleurs se faire plus belles !
Si l'on sait que cette moire des étoffes est le résultat d'une terre et d'une teinture naturelle séchées au soleil pendant une semaine, que les nœuds rouges tressés à la main s'inspirent d'une recherche de plusieurs années sur le vêtement chinois, que les courbes ont été créées suite à d'incessantes tentatives de retouche... les créations de Sophie Hong non seulement forcent l'admiration, mais elles nous émeuvent profondément.