Mouvements en chair et en orLo Ching Poète et Peintre taïwanais
Je n'arrive pas à me rappeler le moment où j'ai connu Hong Li-fen, la grande styliste, j'ai dû la rencontrer par hasard il y a une dizaine d'années à quelque exposition de peinture ou un concert, nous sommes devenus amis sans vraiment l'être. J'ai véritablement commencé à la connaître ces dernières années. Il y a trois ans, lors d'une exposition de peinture, elle avait ouï-dire que j'allais donner des cours théoriques et pratiques de calligraphie, la date n'était pas encore fixée, elle a dit, juste comme ça, quelle aimerait y assister. Au début, j'ai cru qu'elle parlait en plaisantant. Mais à ma surprise, un mois plus tard, elle est vraiment venue.
Elle est comme ça Sophie Hong, elle fait ce qu'elle dit ; elle a cette étrange disposition à vouloir tout essayer et tout apprendre. Pendant les premiers cours, j'ai bien observé son maniement du pinceau, et je lui ai proposé de prendre pour modèle le calligraphe Yan Zhenqing, ce fut concluant dès le premier essai, elle copiait en très grand les caractères de Yan, sans la moindre affectation de femme de salon. Après un peu plus d'une année de pratique, elle n'a pu s'empêcher d'utiliser du papier de Xuan, de format standard, pour audacieusement laisser libre cours à son pinceau, elle arrivait parfaitement à la puissance humble et vaste du trait de Yan, y apportant le souffle d'une femme d'exception.
C'est à partir de son processus d'apprentissage de la calligraphie que j'ai compris celui par lequel elle a, sur les bases du dessin de mode, introduit l'art pur et d'autres activités qui s'y rattachent. Dès la troisième ou quatrième année de primaire, son professeur Hsie Rong-pan a su développer chez elle une sensibilité à la peinture ; au lycée, elle a suivi l'enseignement de la peinture auprès de Hsiao Ru-song ; dans les années 1970, au moment où elle pratique le dessin de mode, elle fait des études du corps humain avec le professeur Liao Te-cheng. Puis elle part au Japon dans les années 1980 pour commencer sa carrière de dessinatrice de mode, en même temps que, sous l'influence de Lu Ming-de et d’autres artistes contemporains, elle développe une compréhension profonde de l'art avant-gardiste.
Elle a saisi le lien qui unie le dessin de mode à l'art pur. D'un côté, elle a voulu introduire dans ses créations les « rapports entre l'humanité et l'homme moderne » qu'elle a intuitivement perçus, afin que la Mode, dominée par la dimension pratique et commerciale, incarne aussi une attention portée à une sorte d'humanisme. D'un autre côté, cette attention elle l'a portée ailleurs, en explorant d'autres formes comme la peinture à l'huile, le collage, dont les résultats se reflètent dans ses créations de mode. Ces effets de miroir, ces chevauchements font que, parmi les couturiers taiwanais actuels, elle est la personnalité la mieux à même d'exprimer son vécu, sa formation, à travers une multitude de formes.
En octobre de cette année, elle s'est enfin décidée à faire une rétrospective générale des explorations qu'elle a menées dans l'art pur depuis des années, exposition sous forme d'un « thème », au sens musical, témoignant de sa compréhension de l'essence de l'art. La clef se situe dans le « mouvement » incessant qui incarne l'humanité et ses émotions : dans ses peintures à l'huile, collages, peintures sur papier mâché, mais surtout ses peintures sur rouleaux de soie, son trait est ferme, ses couleurs riches et intenses, ses œuvres sont comme balayées par le vent, traversées d'éclairs, si puissantes qu'elles semblent traverser des arcs-en-ciel. Dans ces œuvres d'art, interprétations du thème du « mouvement », elle explore non seulement les rapports changeants chez l'homme moderne, mais elle élargit aussi son attention aux changements sociétaux et environnementaux. Deux variations du thème principal rythment l'exposition : 1. Mouvement en chair, 2. Mouvement en or.
« Mouvement en chair » nous montre des esquisses et des travaux achevés, tandis que « mouvement en or » expose des accessoires et ornements qu'elle a dessinés et qui peuvent librement se combiner avec les vêtements. Les deux mouvements se complètent, ils sont d'un même tenant, tous deux révèlent la beauté du mouvement sans entrave, libre. Nous pouvons voir dans ce « thème » et ses « variations » la façon dont une artiste parvient à un subtil équilibre entre ses explorations dans l'art pur et l'élan qu'elle donne à un art appliqué. En même temps, ils découvrent à tous l'qwune des sources importantes de cette création de mode de premier ordre, qui vient de son étude approfondie de l'art pur et de son expérience.
Forte d'une énergie débordante, Sophie Hong a suivi son chemin. Ses multiples audaces ont doté ses créations d'une éternelle vitalité, dans toute son activité artistique, de la peinture aux installations, en passant par le paysagisme, ainsi que ses vêtements et leurs accessoires, la transformation est constante, le cours des choses y change en un instant, là se dirige vers une synthèse, là s'écoule avec lenteur ou avec rapidité.